mardi 26 mai 2015

Qui ose gagne ! Ou comment nos entreprises devraient apprendre à chasser la croissance en meute

Il y a quelques mois, votre serviteur participait à l'une de ces innombrables réunions où industriels, chercheurs et représentants de l’État se retrouvent pour faire un point d'avancement sur un projet. Sans doute assez justement à certains égards, certaines légendes urbaines [1] voudraient que l’État soit inefficace, impécunieux et parfaitement déconnecté des rouages industriels. En réalité, il n'en est rien puisque de plus en plus nombreux sont ses serviteurs à être passés par une structure privée [2]. Cela tombe à point car il arrive même que les représentants étatiques connaissent bien sinon parfaitement les rouages des financements des projets et, cerise sur le gâteau, maîtrisent même les tenants et les aboutissants techniques d'un projet ! Les industriels qui, normalement, devraient se réjouir d'avoir de tels interlocuteurs en vis-à-vis peuvent vite révéler, dans ce cas, certaines lacunes quand ce ne sont pas des limites.

Prenons le cas, par exemple, d'un projet évidemment complexe du point de vue technique comme dans son montage projet (financements nationaux et européens, multiples acteurs, intérêts possiblement divergents) mais dont les retombées économiques et industrielles, pour incertaines qu'elles le soient à ce stade, pourraient permettre de conforter et de créer des emplois. Cette hypothétique bonne nouvelle pour l'économie et le bien général pourrait se traduire, dans la phase de (recherche et) développement, par le maintien et la création de plusieurs centaines d'emplois, qualifiés et hautement qualifiés. 

Malgré l'incertitude importante à ce stade du projet, la phase d'industrialisation pourrait permettre de créer des milliers d'emploi, y compris industriels, dans la prochaine décennie. Apporter de la croissance à une zone économique [3] qui en a tant besoin tout en s'ouvrant de nouveaux marchés à l'export grâce à de réelles avancées technologiques sont donc les enjeux de ce (type de) projet. Au final, les investisseurs potentiels pourraient voir le fameux "retour sur investissement" fonctionner bien au-delà de leurs prévisions les plus prudentes. Pourtant, deux écueils principaux entravent ce type de projets [4] qui, sur le seul plan national, se comptent par dizaines.

Le diable dans les détails...et dans la prise de risques financière
Le premier obstacle, d'une part, participe à une moindre prise de risques industrielle ces dernières années. La crise économique et de confiance qui secoue la planète depuis bientôt sept années y est sans doute pour beaucoup. Elle est aussi une raison commode qui a vu un transfert important des flux d'investissement productifs vers la rémunération du capital et notamment des actionnaires. Si beaucoup d'entreprises clament consacrer un budget de R&D ou d'investissements important en regard de leur chiffre d'affaires, le diable se cache assurément dans les détails.

Les détails c'est de rechercher des financements pour des projets internes déjà existants, parfois bien avancés c'est à dire avec une maturité technologique proche d'une phase d'industrialisation. Les "vrais" nouveaux projets, c'est à dire à l'état de concepts voire en phase exploratoire ne sont que la partie congrue des déclarations. Il me sera rétorqué qu'il est préférable de chercher à sécuriser des projets pour certains engagés depuis des mois voire des années. Je ne peux qu'en convenir tout en faisant remarquer la chose suivante : où se trouvent les innovations et les "gisements" de croissance ? Dans les cerveaux, les cartons et les tiroirs ! 

La phase exploratoire doit permettre de comprendre les potentialités d'investissements pour les projeter non pas sur des besoins actuels / existants / sécurisants mais sur les besoins de demain voire d'après-demain. C'est à ce moment que la prospective entre en jeu. La prospective qui n'est pas un gros mot. C'est une discipline encore mal connue qui deviendra probablement une fonction de plus en plus stratégique dans les prochaines années. Et ce, quelle que soit la taille de l'entreprise et son secteur d'activité. 

Sans jouer à M ou à Mme Irma et sa boule de cristal [5], la part de "connaissance et d'anticipation" comme disent les militaires n'en est qu'aux balbutiements de son potentiel. Elle sera bientôt pleinement intégrée aux processus d'analyse en amont permis par la science des données (Smart data [6]). A la clé, la projection de potentialités via l'émergence de "gisements" que le smart data viendra révéler et enrichir avant la fin de cette décennie. Il reste donc peu de temps pour profiter de la fenêtre de tir actuelle, la French Tech [7] devant être soutenue, valorisée et propulsée à la conquête du monde sous peine de faire le CES [8] 2020 entre l'entrée des sanitaires et le coffee corner.

Le sabotage de projet pour les Nuls
Le second obstacle, d'autre part, tient davantage à l'organisation et à la conduite de ce type de projet. Par essence, la conduite d'un projet - même petit et simple - réclame notamment de l'organisation, le sens de la mesure (tant dans le respect des délais que dans la relation aux autres) et une dose de savoir-faire qui croît à mesure de l'expérience du pilote de projet. Pour un projet complexe, où les acteurs sont nombreux et divers (secteur privé, académique et étatique), les financements compliqués car de niveau national et européen et qu'enfin l'implication des uns et des autres est variable, l'attelage devient rapidement brinquebalant puis parfaitement inconduisible.

Sans être l'alpha et l'oméga, il convient dès lors de nommer un chef d'orchestre expérimenté, ouvert et suffisamment avisé pour s'appuyer sur les quelques personnes motrices qu'il aura rapidement détectées. Un contrat moral entre l'ensemble des parties doit être passé, un plan simple comportant les objectifs, l'organisation et les jalons doit être présenté et partagé par chacun des représentants. Un manque d'entrain, des hésitations voire des divergences systématiques doivent être identifiées et traités discrètement (réunions bilatérales, échanges à haut-niveau au besoin des entités concernées).

Ces conditions posées, le maître-mot et la réussite d'un tel projet seront conditionnés par le niveau de coordination que le pilote du projet saura insuffler. Faible et erratique, le projet a toutes les chances de naviguer au gré des alizées jusqu'à éperonner un affleurement rocheux. Constant, impliquant les personnes motrices préalablement identifiées et vérifiant régulièrement la vitesse, l'altitude et le cap de l'appareil, le vol sera conforme à son plan de vol et ne nécessitera que des corrections et des ajustements peu chronophages et peu coûteux.

Apprendre à gagner ensemble ou être puni
Le lecteur averti et qui aura eu la patience d'arriver jusqu'à cette ligne aura compris dès lors que sans ces quelques conditions réunies, le contrôle d'un projet sera vite perdu et la probabilité qu'il atteigne ses objectifs sera inversement proportionnelle à son degré de complexité. L'absence d'objectifs et de jalons partagés ainsi que d'un chef d'orchestre expérimenté qui s'appuie sur des copilotes constituent un facteur d'échec important. Le manque d'animation et de coordination constituent sans doute aucun les facteurs d'un échec annoncé. 

S'il n'y a pas de solution miracle, réduire les facteurs d'échec lors de la conduite d'un projet pourraient valoir aux entreprises françaises de meilleurs résultats notamment à l'export. Nous serions, par exemple, inspirés d'observer nos voisins germaniques qui ont su organiser leur tissu économique et industriel tant sur le plan régional que national et entre les PME et les grands groupes. Avant de chasser ensemble, il faut déjà apprendre à se respecter et à jouer ensemble. Dans un contexte de guerre économique aggravé où tous les coups bas sont possibles, l'ignorer ou faire comme si le nuage de Tchernobyl s'était arrêté à nos frontières [9] devrait être pénalement répréhensible.


Note : cet article est paru simultanément sur EchoRadar

[1] Mais les légendes ont parfois un fond de vérité ;-)
[2] Ce n'est certes pas encore la norme mais certaines entités publiques pratiquent plus systématiquement "l'ouverture" vers le secteur privé lorsqu'elles recherchent des profils
[3] France et partenaires européens associés au projet
[4] Sans extrapoler à l'ensemble des projets de recherche et d'innovation, la gestion de ce type de projet demeure somme toute "classique"

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Et comment éviter le retard de 6 mois qui fait basculer tout le calendrier des éléments juridiques qui doivent conforter le projet typiquement un décret de ci et une circulaire de là... On passe d+u printemps à l'automne parce la france est en vacances!