jeudi 19 septembre 2013

Recherche et cyberdéfense "à la française" : entre inquiétudes et espoir

Mercredi 18 septembre 2013 avait lieu le 1er Symposium Académique National de recherche en cyberdéfense. Organisé par l'IRSEM, la DAS et la Réserve Citoyenne Cyberdéfense, j'ai eu le plaisir d'assister aux tables rondes et aux échanges de l'après-midi, tous d'excellente facture. Sans en faire le compte rendu exhaustif, cet article souhaite souligner les points saillants des différentes interventions et proposer une synthèse où l'espoir se mêle à l'inquiétude.

S'il y a été question, à juste titre (1) et à raison, de souveraineté numérique ou de BITD, l'axe transversal de la journée concernait avant tout les activités de recherche en lien avec la cyberdéfense. Après que Frédérick Douzet (2) et Daniel Ventre aient présenté les activités de leurs chaires respectives (3), Marc Hecker de l'IFRI a confirmé les propos de François-Bernard Huygue de l'IRIS concernant les difficultés généralement rencontrées par les think-tank en France : agiter les idées, produire des résultats tout en étant économiquement viables.  Il a, en particulier, insisté sur les difficultés que rencontraient nombre de jeunes chercheurs lorsqu'il s'agissait de leur assurer le cadre contextuel et surtout financier pour qu'ils puissent poursuivre leurs travaux. Un constat que l'on ne peut que partager mais aussi regretter de par la frilosité concernant le passage des paroles aux actes. Et qui devrait renforcer la volonté des pouvoirs publics dans leurs travaux de structuration d'une véritable filière cybersécurité et cyberdéfense tant industrielle que d'enseignement et de recherche.

Après un intéressant panorama des écoles proposant un cursus cyber et de véritables spécialisations, l'heure était venue de conclure d'une synthèse relevant les "trous dans la raquette" puis d'un discours résolument offensif de Madame Catherine Morin-Desailly (4), sénatrice de la Seine-Maritime et auteur du rapport "l'Union européenne, colonie du monde numérique ?". 

Le sénateur Bockel, pionnier politique en la matière, aura fait des émules puisque la sénatrice propose la préférence communautaire explicite en ce qui concerne les équipements réseaux et stratégiques (équipements cœur de réseaux). Elle insiste aussi sur l'importance de participer aux organismes de normalisation et milite pour la création d'un impôt numérique européen afin de permettre l'émergence des réseaux de communication de prochaine génération. Une initiative assurément intéressante qui détonne cependant dans un contexte national soumis à une intense pression fiscale et à un refroidissement certain vis à vis de la construction européenne. Enfin, la sénatrice souhaite une "décolonisation numérique de l'Europe" dans le sens où les équipements permettant les échanges d'information sont globalement fabriqués en Asie et les données exploitées aux USA ! Les ondes du tsunami Snowden sont loin d'avoir complètement disparu.

Pour conclure, soulignons la vivacité et l'affermissement d'un certain courant de pensée "à la française" en ce qui concerne les enjeux et les conflictualités liés au cyberespace. Cette dynamique, attentivement observée et parfois saluée à l'international, s'affirme comme une alternative crédible à la pensée dominante et dominée par les USA. Sans velléités bellicistes, la France, et sans doute une partie de l'Europe, renoue avec ses lettres de noblesse ancestrales. Réfléchir, échanger et discuter pour éclairer. Raisonnablement, les travaux de recherche français et francophones portant sur le cyberespace donnent la perception que le verre est plutôt à moitié plein. Une bonne nouvelle qu'il convient de saluer mais surtout d'encourager !


(1) et parce que le tropisme militaire est évidemment fort lorsque l'on s'immerge dans la thématique cyberdéfense
(2) titulaire de la chaire Castex de cyberstratégie
(3) la Chaire Cybersécurité et Cyberdéfense vient de publier le premier cru de sa production : dense ! 
(4) empêchée à la dernière minute et élégamment remplacée par le directeur de "Défense et stratégie". 

2 commentaires:

Anonyme a dit…

"le verre est plutôt à moitié plein."
En effet, mais l'élan était présent dans la salle. Les tables rondes ,toutes efficaces, ont témoigné d'une volonté réelle de structurer l'ensemble des actions.
Celle réunissant pme et grands groupes (Bull...) a insisté sur les difficultés croissantes dans le recrutement des profils cyber compétents en France et a souligné la pénurie qui risque fort d'obscurcir l'horizon du dispositif de cyberdéfense.
C'est un élément fondamental qui peut rapidement fragiliser l'ensemble des initiatives...
TB

Si vis pacem a dit…

Merci pour votre commentaire qui conforte l'analyse de cette intéressante journée.

Pour aller plus loin sur le problème (réel) des compétences cyber sur le plan national, je vous invite à lire mes précédents articles traitant justement de ce sujet :

http://si-vis.blogspot.fr/2013/03/la-penurie-de-specialistes-en.html (1/2)

http://si-vis.blogspot.fr/2013/03/la-penurie-de-specialistes-en_18.html (2/2)